Fenêtres d'utopie

Abstractions et figurations. Retour probable vers la figuration.
Peintures acryliques (60cm x 73cm)

À l’orée du troisième millénaire, je désirais faire la synthèse de mes différentes approches de l’art. Ayant goûté au surréalisme, à l’abstraction et aux recherches contemporaines, je concrétisais celles-ci en une seule.

Cette nouvelle orientation ne se présentait pas comme des terres à défricher mais plutôt comme une pause sous forme d’analyse du chemin que j’avais parcouru en trente-sept années d’activité. À cinquante-six ans, j’éprouvais toujours autant d’ardeur dans mon atelier et d’enthousiasme. Mon inspiration était présente et sans faille. Cependant, cette suspension de mon pinceau me parut souhaitable avant de le tourner vers d’autres explorations. Je pris conscience que l’utilisation de mes rêves dans ma peinture aurait un jour moins d’intérêt et une fin.

En touchant aux « Fenêtres d’utopie », loin de travailler dans la facilité, je découvris la complexité de ce thème et de sa réalisation technique. En effet, la rigueur de la construction s’opposait à l’étrangeté des sujets.

Sur une surface rigide, j’exploitais des volumes en creux, découpés dans le contreplaqué. J’y introduisais des structures en relief ainsi que des fenêtres s’ouvrant et se refermant à volonté sur mes anticipations concrétisées. Le sculpteur en moi ne s’opposait plus au peintre. L’un et l’autre avaient réussi, dans une même communion, à dégager un tableau-sculpture.

Ayant maîtrisé cette dualité, je pouvais revenir à mes vieux démons, à savoir les coulisses des songes. Lors de mes premiers voyages imaginaires, le rêve m’avait servi à situer l’homme face à l’univers et à ses tentatives de décryptage. Sur mes nouvelles toiles, le caractère interrogatif et mystique disparut, laissant place aux aspirations et aux fantasmes de l’individu. Ces derniers s’y développèrent avec le plus de netteté possible. Toutefois, je les élevais au paroxysme en utilisant, dans leur reproduction, tous les créneaux disponibles de liberté, d’audace et d’anarchie.

Peu importait que les facettes de nos secrètes personnalités resurgissent au grand jour dans la lumière du tableau. Déshabillé de son esprit cartésien, le spectateur pouvait traverser le miroir d’une autre existence. Jouant avec la frontière de l’inconscient, mes représentations figuratives devinrent des réalisations irréelles qui aspiraient à une pénétration poétique du quotidien.

À mes voyages oniriques, j’ajoutais des effets tendant à fausser le jugement et à tromper la perception du spectateur (un bâton qu’il croyait brisé dans l’eau), les illusions d’optique (droites parallèles qui lui paraissaient courbes) ainsi que de perspective (son œil percevait deux grandeurs différentes alors qu’elles étaient les mêmes).

De cette période, Roger Curtis en a probablement le mieux cerné les contours : En créant les Fenêtres d’utopie, Gilbert Sabatier ouvre une nouvelle fois d’autres champs inexplorés ; tentatives de pénétration d’un univers hermétique au commun des mortels. Par son retour progressif à la figuration, l’artiste, par le jeu subtil de l’abstraction et de la figuration, pénètre dans les sphères éthérées, ces fluides hypothétiques de toutes nos angoisses, de nos délires, de nos rêves éveillés où la confrontation entre les réalités tactiles et les certitudes anticipées ouvrent des horizons nouveaux comme les étoiles « fenêtres du monde ». Sabatier est peut-être par sa vision de l’univers un créateur qui aura essayé de conjuguer le carré et le cercle (terre et univers) dans une symbiose d’unité.